
Avis du pôle scientifique de Kinesport
Pastille grise
Pastille grise
Cette revue narrative clinique est une revue non systématique avec opinions d’experts sur la littérature existante, choisie subjectivement par les auteurs. Ce type de revue n’a pas de méthodologie standardisée et ne peut donc pas être évaluée sur sa qualité méthodologique avec des grilles de lecture standards. Les résultats sont à prendre avec précautions, sous forme d’hypothèses, à valider par des études à faible risque de biais dont le design est adapté à la question de recherche.
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La spécialisation sportive et le développement de l’athlète
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La maturation biologique et le pourcentage de la taille estimée
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Les déficits moteurs et l’entrainement neuromusculaire
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Les recommandations pour la progression de charge de travail global
L’évaluation de ces 4 facteurs pourrait permettre de déterminer des niveaux de risque, des recommandations sur la progression des charges de travail ainsi que des stratégies optimales de RTP après blessure.
Spécialisation sportive et développement de l’athlète
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L’échantillon sportif : participation à une grande variété de sport chez les préadolescents et adolescents afin d’améliorer leur développement athlétique à long-terme
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L’échantillon spécialisé : proportion d’activités en lien avec les spécificités du sport. Il a montré chez les jeunes footballeurs une capacité à les amener vers le plus haut niveau de succès en élite
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La spécialisation précoce du sport : concentration sur un seul sport pendant l’adolescence ou préadolescence. La théorie est que c’est cette spécialisation précoce qui permet d’améliorer ses chances de réussites, mais cela n’est pas soutenu par beaucoup de preuves
Malgré la popularité de la spécialisation précoce, une récente revue de littérature n’a pas montré de différence significative sur la carrière sportive et les performances entre les athlètes spécialisés et les athlètes multisports. Ces résultats ont conduit de nombreux experts à suggérer que la participation à plusieurs sports pourrait augmenter les compétences techniques des jeunes athlètes et réduire leur risque de blessure. Ils suggèrent que la spécialisation dans le sport doit être la plus tardive possible en citant comme risques possibles les blessures, le burnout et les effets à long-terme sur la santé, bien que nous manquions encore de preuves établies sur ces derniers.
Pourtant, de nombreux jeunes athlètes se spécialisent très tôt dans un sport et nous manquons encore de recommandations à leur fournir pour adapter leurs entrainements et réduire les potentiels effets délétères sur leur santé.
Blessure de surutilisation et spécialisation sportive
La spécialisation sportive suit un continuum comprenant le choix d’un sport principal, l’arrêt de tous les autres sports et l’entrainement et la compétition supérieure à 8 mois par an dans ce sport.
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Sévère - arrêt du sport supérieur ou égal à 1 mois
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Haut risque - forte probabilité d’avoir recours à la chirurgie
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Faible risque - nécessite seulement une adaptation de l’entrainement avec une bonne gestion de la charge
Malgré ce risque de blessure, la qualité de vie et la santé des athlètes spécialisés semblent équivalente à celles de ceux pratiquant plusieurs sports s’ils ont un bon moral et un environnement parental leur apportant du soutien.
Les études émergeantes suggèrent qu’il y aurait un âge approprié pour commencer cette spécialisation et qu’il serait sport-dépendant. Elles suggèrent aussi qu’il existe de nombreux facteurs influençant les risques de blessures (voir tableau 2) chez les jeunes athlètes, et que définir la spécialisation précoce comme seul facteur de risque de blessure serait une simplification inexacte.

Quel environnement peut donner aux jeunes athlètes spécialisés les meilleures chances de succès ?
Bien que la spécialisation soit encore associée à des effets négatifs, il existe des recommandations afin d’assurer aux athlètes le meilleur environnement possible pour leur développement physique et psychologique, pour diminuer leur risque de blessures et optimiser le succès sportif sur le long-terme.
Premièrement, un programme d’entrainement complet comprenant du travail de force, du conditionnement et de la technique spécifique au sport doit être une priorité. Les interventions connues pour réduire le risque de blessures (ex : entrainement neuromusculaire) et développer des qualités physiques associées à de meilleures performances doivent aussi être intégrées dans le programme.
Deuxièmement, les jeunes athlètes étant déjà spécialisés devraient être encouragés à pratiquer pendant la trêve un sport différent de celui qu’ils pratiquent déjà tout au long de la saison. Cette participation à un sport secondaire leur permettrait d’arrêter les mouvements répétitifs de leur premier sport, d’éviter un burnout, de développer de nouveaux schémas moteurs plus adaptables et d’améliorer leur perception et leur prise de décision.
Maturation biologique
Le pic de croissance est une période clefs pour les jeunes athlètes, avec une augmentation du risque de blessure. Ce pic de croissance arrive en général entre 9 et 10 ans chez les filles et 11 et 12 ans chez les garçons. Durant cette période de développement, les jeunes adolescents peuvent prendre jusqu’à 10 cm et 10 kg par an. La prise de poids chez les filles est plutôt associée à une augmentation de la masse graisseuse alors qu’elle est associée à une augmentation de la masse maigre chez les garçons. Le pourcentage de prédiction de la taille adulte (PPAH) peut être utilisé pour connaitre le début et la phase de cette phase important de croissance.
La prévalence des blessures de surutilisation chez les jeunes sportifs évolue entre 37 et 68% et elle est particulièrement importante pendant la phase de croissance. Le moment d’apparition est différent selon les pathologies et semble suivre un schéma disto-proximal ; la maladie de Sever semble apparaitre au début du pic de croissance, celle d’Osgood-Schlatter plutôt durant le pic de croissance et les spondylolisthésis semblent débuter durant la phase de diminution de la croissance.
Suivi biologique
De nombreuses stratégies existent pour prévenir le risque de blessure chez les jeunes sportifs spécialisés. Jan Willem Teunissen (scientifique à l’Ajax Football Club) a décrit une intervention basée sur l’adaptation des entrainements en fonction des périodes de maturation biologique des athlètes ; les joueurs entrant en période de croissance avaient une réduction de la charge d’entrainement et une augmentation de la participation au travail d’accélération, de décélération, aux activités permettant de maintenir l’équilibre, le gainage, la coordination ainsi que les techniques et habilités spécifiques au sport. Ce programme basé sur la relation entre croissance et entrainement semble engendrer une diminution de l’incidence des blessures ainsi qu’une diminution du burden. Bien que les résultats soient encourageants, d’autres recherches devraient être réalisées afin de valider ce protocole. De plus, il est important de noter que les adolescents ayant un pic de croissance plus tardif sont plus sujets aux blessures à cause de l’augmentation de la charge et de l’exigence des compétitions.
Déficits de coordination motrice
Des déficits de coordination ont récemment été observés, notamment chez les jeunes athlètes féminines spécialisées. Une étude récente a analysé la variabilité des mouvements angulaires du genou et de la hanche entre des athlètes féminines spécialisées et des athlètes féminines participant à plusieurs sports. Les auteurs ont conclu que les athlètes spécialisées présentaient un déficit de coordination entre les mouvements de hanche et de genou sur une tâche de vertical drop jump, entrainant une réception instable, de plus grandes forces de contact, une diminution de l’absorption des forces et donc une augmentation du risque de blessure des membres inférieurs. D’autres études ont confirmé ce déficit de coordination, avec notamment une augmentation du moment d’abduction du genou chez les jeunes athlètes spécialisés comparé à un groupe d’athlètes multisport.
Ce déficit pourrait s’expliquer par le nombre de mouvements variés qui est beaucoup moins important chez les athlètes spécialisés. En effet, pour une même tâche (étude sur des jeunes footballeurs devant effectuer une tête et comparaison entre un groupe spécialisé précoce et un groupe non spécialisé), de jeunes athlètes non spécialisés ont montré une plus grande complexité de mouvement, se traduisant par des contractions musculaires non homogènes qui entrainent moins de contraintes sur les articulations. Les contractions étant plus aléatoires que chez des athlètes spécialisés, elles entrainent des contraintes articulaires plus variées ce qui diminue le risque de pathologie de surutilisation. Les athlètes spécialisés quant à eux répètent constamment les mêmes schémas moteurs ce qui entraine une charge chronique plus importante sur les articulations et les exposent davantage aux blessures. Le travail de coordination motrice, de force et de développement de différents schémas moteurs doit donc être intégré en parallèle des entrainements chez les jeunes sportifs se spécialisant précocement.
Charge globale et progression de la charge d’entrainement
Ratio compétition / développement athlétique
Actuellement, la majorité des encadrants des jeunes athlètes privilégient la performance à court-terme au détriment de la santé et de la vision à long terme, ce qui peut amener à une trop grande charge d’entrainement et de compétition, un manque de récupération et un haut ratio compétition/entrainement. Les recommandations concernant ce ratio sont de 25/75 durant l’adolescence précoce et 50/50 vers la fin de l’adolescence. De plus, les entrainements spécifiques à la compétition doivent être inclus dans la partie compétition du ratio. Bien qu’ils n’aient pas été empiriquement testés et qu’ils soient sport-dépendant, il faudrait augmenter progressivement le ratio compétition / entrainement en préparant les jeunes athlètes à l’intensité des compétitions de haut niveau, notamment en intégrant des entrainements se rapprochant des conditions de compétition.
L’impact d’un haut ratio compétition / entrainement n’est pas encore connu mais il pourrait être négatif pour les jeunes athlètes spécialisés. Dans de très nombreux sports, l’incidence des blessures en compétition est largement supérieure à celle en entrainement. De plus, certaines études montrent que les athlètes qui se sont blessés jouaient plus de matchs (environ 30% de plus) que ceux ne s’étant pas blessés, alors que la charge d’entrainement était la même. L’une des interprétations possibles est que les sportifs participants à de nombreuses compétitions passent un temps insuffisant à développer leurs capacités physiques à l’entrainement, alors que celles-ci pourraient prévenir certaines blessures.
De plus, dans les sports d’équipe, le risque de collision qui est présent uniquement en compétition augmente le risque de blessure. Plus les jeunes athlètes participent à des compétitions ou matchs, plus ils sont exposés à ce risque.
Enfin, la compétition est associée à une plus grande prise de risque chez les jeunes athlètes, les exposant de nouveau à d’avantage blessure. Bien qu’il n’y ait pas de valeur faisant consensus, les praticiens devraient être particulièrement vigilants sur ce ratio compétition/entrainement afin de diminuer l’incidence des blessures et éviter le surentrainement.
Les adolescents ne sont pas des mini-adultes
Afin de mieux comprendre les effets positifs ou négatifs de l’entrainement, 23 articles sur la charge de travail ont été analysés : seulement 4 ont montré des effets négatifs de l’augmentation de l’entrainement sur le risque de blessure. Dans la plupart des cas, l’augmentation de la charge d’entrainement était associée à une faible récupération, augmentant donc le risque de maladie, de blessure et les états de stress. Ces résultats montrent que, même si ce n’est pas le plus fréquent, des effets négatifs aux variations de charge d’entrainement peuvent se produire.
Chez les jeunes athlètes, le facteur principal à prendre en compte est l’âge lorsque l’on veut faire varier les charges de travail. Il faudrait considérer 3 âges : l’âge chronologique, l’âge biologique et l’âge d’entrainement. En fonction de leur âge chronologique, les athlètes auront de plus ou moins grandes capacités à supporter la charge d’entrainement. L’âge biologique (âge du pic de croissance) jouera un rôle sur le risque de blessure, tout comme l’âge d’entrainement qui pourra influencer la capacité de l’athlète à s’adapter à l’entrainement et à diminuer ou non son risque de blessure. Le pic de croissance sera une période clé chez les jeunes sportifs durant laquelle il faudra être particulièrement vigilant aux changements brutaux de charge d’entrainement.
Augmenter ses capacités implique plus que seulement augmenter sa charge d’entrainement
Bien que l’augmentation graduelle de la charge d’entrainement soit connue pour améliorer les capacités de charges, des facteurs concernant la santé des athlètes pourraient aussi influencer la performance et le risque de blessure. Par exemple, le stress et l’anxiété augmentent le risque de blessure. Les adolescents sont particulièrement sensibles au sommeil, et de nombreuses études montrent qu’une réduction du temps de sommeil associé à une augmentation de la charge d’entrainement augmente le risque de pathologie de 2 à 3 fois.
La gestion de la charge de travail doit être réalisée de manière optimale par les coachs afin de maximiser les effets positifs de l’entrainement et de minimiser ses effets négatifs (fatigue, blessure …). La charge devrait s’adapter à chaque athlète ; un jeune sportif sans blessure pourra continuer d’augmenter le volume et/ou l’intensité de ses entrainements alors qu’un athlète présentant un fort risque de blessure devra temporairement diminuer sa charge de travail.
Bien que des charges de travail chronique élevées soient associées à une meilleure performance et une diminution des blessures chez les adultes, elles sont associées à un risque accru de blessure chez les adolescents. Les adultes et les adolescents ne réagissent donc pas de la même façon aux charges d’entrainement, et il est important de noter que les adolescents n’ont pas besoin de charge excessive pour développer des adaptations positives. Il semblerait donc que des charges d’entrainement modérées avec des variations peu importantes et très progressives soient la meilleure pratique à mettre en place pour des adolescents.
Il sera aussi important de déterminer la sensibilité à la charge des jeunes athlètes, afin notamment d’assurer un suivi rapproché à ceux étant sensibles à la charge et présentant donc un plus grand risque de blessure.
Conclusion
Bien que la spécialisation précoce présente des risques chez certains athlètes, il est tout à fait possible d’obtenir des bénéfices avec ce type d’entrainement spécialisé. Il sera pour cela important de prendre en compte les facteurs de risques de blessure (antécédents, mauvaise biomécanique, maturité biologique) et la relation charge de travail / blessure (âge, historique d’entrainement, force), les deux influençant la tolérance à la charge de l’athlète. Chez les jeunes athlètes spécialisés, les programmes d’entrainements permettant le développement des qualités physiques et le travail du contrôle neuromusculaire permettent d’améliorer les performances tout en diminuant le risque de blessure. Il faudra aussi privilégier le travail de préparation des athlètes plutôt que les compétitions.
Référence article
Jayanthi N, Schley S, Cumming SP, Myer GD, Saffel H, Hartwig T, Gabbett TJ. Developmental Training Model for the Sport Specialized Youth Athlete: A Dynamic Strategy for Individualizing Load-Response During Maturation. Sports Health. 2022 Jan-Feb;14(1):142-153. doi: 10.1177/19417381211056088. Epub 2021 Nov 11. PMID: 34763556; PMCID: PMC8669935.