Les auteurs de cette étude se sont penchés sur les mécanismes potentiels pouvant rendre compte de ce phénomène surprenant.
Au niveau moléculaire, le modèle à trois filaments de la contraction musculaire (actine, myosine et titine) pourrait fournir des éléments de réponse pour expliquer comment l'entraînement excentrique peut influencer la force concentrique maximale. La titine, en particulier, est considérée comme pouvant participer activement à la génération de force musculaire, en complément des interactions actine-myosine classiques. Ce gigantesque filament protéique joue un rôle essentiel dans le maintien de l'intégrité structurelle des sarcomères et la transmission des forces générées par les ponts actine-myosine (Eckels et al., 2018 ; Rivas-Pardo et al., 2016). Des études menées chez l'animal ont montré que l'entraînement excentrique, comme la course en descente, augmentait la rigidité passive et active des muscles du triceps brachial (Reich et al., 2000 ; Noonan et al., 2020). Ces résultats suggèrent que l'entraînement excentrique pourrait induire une augmentation de la rigidité de la titine au sein des sarcomères. Cette augmentation de la rigidité de la titine avec l'entraînement excentrique pourrait alors contribuer à une meilleure transmission de la force générée par les ponts transversaux actine-myosine pendant les actions excentriques. En d'autres termes, la titine agirait comme un élément de transmission de la force, reliant les filaments contractiles aux structures cytoarchitecturales du muscle (Hessel & Nishikawa, 2017 ; Hahn et al., 2023). Ce renforcement de la transmission de la force au niveau des sarcomères induit par l'entraînement excentrique pourrait ainsi bénéficier à la production de force concentrique maximale, expliquant les gains similaires observés par rapport à l'entraînement concentrique seul. Bien que le rôle causal de l'hypertrophie musculaire dans l'augmentation de la force reste débattu (Buckner et al., 2016 ; Loenneke, 2019), ces adaptations au niveau de la titine pourraient représenter un mécanisme moléculaire clé.
“Cependant, certaines données suggèrent que la différence de changements de force 1RM entre l'entraînement à forte charge et l'entraînement à faible charge peut être largement abolie si le groupe à faible charge est exposé à des tests supplémentaires de force maximale, renforçant le concept de spécificité (c'est-à-dire que le test de force lui-même peut fournir un stimulus d'entraînement pour l'adaptation).”
D'un point de vue neural ?
D'un point de vue iscocinétique ?
“Lorsque l'on sépare les actions musculaires en phases concentriques ou excentriques, de multiples études suggèrent que les actions musculaires excentriques possèdent plusieurs propriétés physiologiques distinctes par rapport aux actions concentriques.”
“Bien que la généralité de l'adaptation de la force (c'est-à-dire le changement de force sur une tâche qui n'a pas été entraînée) suive souvent un schéma prévisible où les augmentations de force diminuent à mesure que le test de force s'éloigne du stimulus d'entraînement réel, cela ne semble pas toujours être le cas pour les actions musculaires excentriques.”
Les points clés
Cette étude explore comment l'entraînement excentrique remet en question le principe de spécificité, à travers des mécanismes moléculaires et neuronaux potentiels, des observations issues de la littérature isocinétique, et la nécessité de recherches complémentaires.
Remise en question du principe de spécificité
- Le principe de spécificité suggère que les plus grands changements de force se produisent lorsque l'entraînement ressemble au test de force spécifique.
- Cependant, certaines études ont montré que l'entraînement excentrique seul entraînait des gains de force concentrique similaires à l'entraînement concentrique seul, allant à l'encontre du principe de spécificité.
Mécanismes moléculaires potentiels
- Le modèle à trois filaments de la contraction musculaire (actine, myosine, titine) pourrait expliquer le rôle de la titine dans la transmission de la force lors des actions excentriques.
- L'augmentation de la rigidité de la titine avec l'entraînement excentrique pourrait contribuer aux gains de force concentrique.
Mécanismes neuronaux potentiels
- L'entraînement excentrique pourrait induire une augmentation de l'excitabilité corticale et une diminution de l'inhibition spinale, améliorant l'activation musculaire volontaire.
- Les mécanismes neuronaux exacts restent à élucider.
Observations issues de la littérature isocinétique
- L'entraînement excentrique isocinétique a montré de plus grandes augmentations de force concentrique que l'entraînement concentrique isocinétique.
- Mais lorsque l'intensité et le volume étaient équivalents, les gains étaient similaires.
Nécessité de recherches complémentaires
- Examiner l'impact de l'entraînement excentrique lorsque la phase concentrique est déjà maximalement chargée.
- Comparer les adaptations entre entraînement concentrique-seulement et excentrique-seulement.
CONCLUSION
En conclusion, cette étude ouvre de nouvelles perspectives passionnantes sur le rôle de l'entraînement excentrique dans le développement de la force musculaire, remettant en cause les dogmes bien établis dans ce domaine. Ces résultats stimuleront sans aucun doute de futures recherches visant à mieux comprendre les adaptations neuromusculaires induites par les différentes modalités d'entraînement en résistance.
L'étude
Kataoka, R., Yamada, Y., Hammert, W. B., Song, J. S., Kassiano, W., Kang, A., & Loenneke, J. P. (2024). The Influence of Eccentric Muscle Actions on Concentric Muscle Strength: An Exception to the Principle of Specificity. International Journal of Strength and Conditioning. https://doi.org/10.47206/ijsc.v4i1.328