Plasticité neuronale et peur liée à la douleur dans l'instabilité chronique de la cheville

Oct 19 / Kinesport
L'instabilité chronique de la cheville (CAI) est une pathologie fréquente qui se caractérise par une sensation d'instabilité et un risque élevé de récidive des entorses. Au-delà des aspects physiques, les patients CAI présentent souvent une kinésiophobie (peur du mouvement) et une douleur chronique qui impactent grandement leur qualité de vie.

Une récente étude publiée dans le Journal of Athletic Training s'est intéressée aux substrats neurophysiologiques de ces manifestations cliniques. Les chercheurs ont en effet mis en évidence des différences de volume de matière grise cérébrale entre des patients CAI et des sujets sains, en lien avec leur niveau de kinésiophobie et de douleur.

Ces résultats suggèrent que les altérations de la neuroplasticité dans certaines régions du cerveau pourraient jouer un rôle central dans les troubles émotionnels et douloureux observés chez les patients souffrant d'instabilité chronique de la cheville. Une meilleure compréhension de ces mécanismes pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques ciblées.

Découvrez les détails de cette étude passionnante et ses implications pour la prise en charge des patients CAI. 

Points clés

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Atrophie et CAI

Les participants atteints de CAI présentent une atrophie des régions cérébrales liées à l'émotion et à la douleur (cortex préfrontal et substance grise périaqueducale) par rapport aux témoins sains.

Volume MG/TSK

Chez les participants atteints de CAI, le volume de MG du cortex préfrontal est négativement corrélé aux scores TSK.

Volume MG/EVA

Pendant l'exercice intense, le volume de MG de la substance grise périaqueducale est négativement corrélé aux scores EVA.

Impacts

Le diagnostic et le traitement clinique futurs de CAI devraient tenir compte de l'impact des barrières psychologiques sur la récupération fonctionnelle.

Objectif de l’étude :

  • Identifier des différences de volume de matière grise dans les régions cérébrales liées à l'émotion et à la douleur, entre les participants souffrant d'instabilité chronique de la cheville et les témoins sains
  • Déterminer les corrélations entre les changements structurels dans les régions cérébrales concernées et l'échelle de Tampa pour la kinésiophobie ou l'échelle visuelle analogique pour la douleur

Méthode :

Schéma d’étude : Étude transversale cas-contrôle

Population de l’étude
: Patients souffrant d'instabilité chronique de la cheville (CAI) remplissant les critères d’inclusion suivants :
(1) avoir subi au moins une entorse de la cheville entraînant une douleur, un gonflement et une interruption d'au moins un jour de l'activité physique souhaitée ; (2) avoir connu au moins deux épisodes où leur cheville a cédé au cours des six derniers mois ou au moins deux entorses de la même cheville ; (3) avoir obtenu un score du Cumberland Ankle Instability Tool (CAIT) inférieur à 24 ; (4) utiliser principalement leur pied droit pour donner des coups de pied.

Intervention :
  • échelle de Tampa pour la kinésiophobie (TSK)
  • échelle visuelle analogique (VAS) pour la douleur au repos (VAS-rest) et pendant le sport (VAS-sport)

Comparaison :
Groupe contrôle (CON) de sujets sains sans historique d’entorse de la cheville

Variables d’intérêts mesurées et les outils de mesures :
  • Volume de matière grise (GM) de régions cérébrales d’intérêt (ROI). Les ROI ont été sélectionnées parmi des régions cérébrales liées à la douleur et identifiées grâce à un atlas du cerveau humain. Ces ROI sont le cortex cingulaire antérieur (ACC), l’amygdale (AMYG), le cortex préfrontal (PFC) et la substance grise périaqueducale (PAG).
  • Le volume de GM a été déterminé à partir d’une acquisition de neuroimagerie structurelle à une résolution de 1,5 mm3 (volume d’un voxel) à l’aide d’une IRM 3.0T (Siemens Prisma Scanner).
  • Des analyses par clusters ont également été réalisées en normalisant les volumes par le volume intracrânien total (TIV).
  • La magnitude de la différence inter-groupes de volume de GM a été quantifiée à l’aide du d de Cohen.
  • L’âge et le genre ont été inclus comme covariées.

Résultats :

Caractéristiques des sujets
Aucune différence statistiquement significative n'a été observée entre les 28 patients CAI et les 28 CON en termes de genre, d'âge, de taille, de poids, d'indice de masse corporelle ou de score Tegner. Les scores TSK, VAS-rest et VAS-sport étaient plus élevés dans le groupe CAI par rapport au CON tandis que les scores CAIT étaient plus faibles.

Différences de GM entre CAI et CON
Le volume et la densité de GM étaient réduits chez les patients CAI dans le PFC (d=-0,81, p=0,005) et la PAG (d=-0,93, p=0,004). Il n’y avait pas de différences de GM entre CAI et CON pour les autres ROI (ACC et AMYG).

Relation entre différences de GM et caractéristiques cliniques
Plus la kinésiophobie était élevée, plus la douleur pendant le sport était élevée chez les patients CAI (corrélation entre scores TSK et VAS-sport, r=0 ;46, p=0,02). Chez ces mêmes patients, la kinésiophobie était proportionnelle à la densité de GM du PFC (r=-0,53, p=0,005). Aussi, la douleur pendant le sport était proportionnelle à la densité de GM du PAG (r=-0,48, p=0,012). Une relation non statistiquement significative fut également constatée entre la GM de cette même région (PAG) et la douleur au repos (r=-0,26, p=0,20).

CONCLUSION

Avis du pôle scientifique : Cette étude transversale cas-contrôle respecte les principaux critères méthodologiques. Cependant, certains critères moins importants ne sont pas respectés ce qui est susceptible d’engendrer une sur ou sous-estimation des résultats.

Cette étude constate que le volume de GM de certaines régions cérébrales liées à la douleur (PFC et PAG) est réduit chez les patients CAI par rapport à des sujets sains. De plus, l’ampleur de cette réduction est associée à un tableau clinique douloureux. En effet, plus le volume de GM de ces régions est réduit, plus la kinésiophobie (score TSK) et la douleur pendant le sport (score VAS) sont importantes. Cette étude met ainsi en évidence un substrat neurophysiologique des relations entre CAI et douleur. Ces résultats suggèrent que la douleur chronique et l’appréhension dont font montre les patients CAI émergent d’une neuroplasticité (mal)adaptative. Une meilleure compréhension de la neurophysiologie de ces phénomènes pourrait permettre le développement de solutions thérapeutiques ciblées pour enrayer ces altérations.

La référence

Zhang Y, Xue X, Guo G, Cao R, Yu L, Tao W, Pan S, Hua Y, Wang H. Association between Neural Plasticity and Pain-Related Fear in Chronic Ankle Instability: A Structural Neuroimaging Study. J Athl Train. 2024 Sep 17. doi: 10.4085/1062-6050-0214.24. Epub ahead of print. PMID: 39287087.