le point de vue des athlètes et des kinésithérapeutes du sport sur l'expérience unique de la douleur dans le sport

Nov 21 / Kinesport - ⏱️ 7 min -
La douleur est une composante inévitable de la vie des athlètes, influençant non seulement leurs performances sportives mais aussi leur bien-être psychologique et leur quotidien. Comprendre comment cette douleur est perçue, vécue et gérée est essentiel pour améliorer l'accompagnement des sportifs, tant sur le plan physique qu'émotionnel.

C'est dans cette perspective que l'étude menée par Purcell et al., publiée dans le BMJ Open Sport & Exercise Medicine en 2024, s'est penchée sur une question essentielle : comment les athlètes et les kinésithérapeutes perçoivent-ils et vivent-ils la douleur dans un cadre sportif ?

Cette étude qualitative met en lumière l’expérience complexe et multidimensionnelle de la douleur chez les athlètes, tout en soulignant l’importance de la communication et des stratégies d’adaptation.

Objectif de l’étude

L'objectif principal était d'explorer les expériences et les perspectives partagées entre les athlètes et les kinésithérapeutes concernant la douleur des membres supérieurs et inférieurs. Pour ce faire, des groupes de discussion mixtes ont été organisés afin de recueillir des points de vue diversifiés et enrichis par les interactions entre les participants.

Méthode

Schéma, population et intervention

Cette étude qualitative a été réalisée à travers des groupes de discussion mixtes, en suivant les recommandations du cadre COREQ (Consolidated Criteria for Reporting Qualitative Research). L’objectif méthodologique était de recueillir des points de vue enrichis par les échanges entre athlètes et kinésithérapeutes.

La population étudiée se composait de deux groupes bien définis. D'une part, des athlètes actuellement engagés dans des compétitions sportives, ayant connu au cours de l'année écoulée un épisode de douleur touchant les membres supérieurs ou inférieurs et ayant nécessité l’intervention d’un kinésithérapeute du sport. D'autre part, des kinésithérapeutes ayant au minimum trois ans d'expérience, travaillant régulièrement avec des athlètes dans des contextes variés, allant du suivi clinique aux environnements sportifs. Chaque groupe de discussion s’est déroulé sur une durée de deux heures. Une trame structurée a été élaborée au préalable, selon un processus rigoureux incluant brainstorming, formulation des questions, échanges avec des pairs, et révision chronométrée. Cette trame a permis d’organiser les échanges de manière fluide, débutant par une introduction générale sur le contexte, pour ensuite aborder des questions ciblées autour des définitions, des compréhensions et des expériences liées à la douleur dans le sport. Afin d’éviter toute influence des kinésithérapeutes sur les athlètes, ces derniers étaient toujours invités à s’exprimer en premier. Cette approche visait à préserver la spontanéité et l’authenticité des témoignages, tout en respectant une dynamique d’échange équilibrée.

Cette méthodologie a permis de recueillir des données riches et variées, essentielles pour mieux comprendre les perspectives croisées sur la douleur dans un cadre sportif.

Analyse du contenu des discussions

Les discussions ont été retranscrites intégralement, mot à mot, pour garantir une restitution fidèle des échanges. Une méthode d’analyse thématique réflexive a été utilisée pour examiner ces transcriptions. Cette approche, particulièrement adaptée aux études qualitatives, s’appuie sur une décomposition des données en petits blocs appelés codes. Ces codes représentent des étiquettes descriptives ou interprétatives, créées pour synthétiser les informations textuelles pertinentes en lien avec les questions de recherche. Ils constituent ainsi les bases essentielles à partir desquelles des thèmes significatifs peuvent être identifiés.

  Le processus de codage a été réalisé de manière indépendante par deux évaluateurs, afin d’assurer la rigueur et la fiabilité de l’analyse. Une fois les transcriptions codées, les évaluateurs ont comparé et mis en commun leurs résultats. Les similitudes entre les codes ont permis de regrouper ces derniers en ensembles cohérents, formant ainsi des thèmes candidats.

L’équipe de recherche a ensuite examiné ces thèmes candidats pour s’assurer de leur pertinence dans le cadre des objectifs de l’étude. Chaque thème a été consolidé grâce aux données disponibles, ce qui a permis de leur attribuer des titres définitifs. Enfin, une carte thématique a été élaborée pour organiser visuellement les liens et les hiérarchies entre les différents thèmes.

Cette méthodologie rigoureuse a permis de structurer les données recueillies et d’en extraire des enseignements clés, tout en respectant les principes fondamentaux de l’analyse qualitative.

Processus de validation par les patients et le public

Le processus de validation de l’étude a impliqué un panel représentatif de patients et du public cible, composé de cinq athlètes (trois femmes et deux hommes), pratiquant divers sports et évoluant à des niveaux de compétition variés. Ces participants ont joué un rôle clé dans l’évaluation et l’enrichissement des différentes étapes de la recherche.

Depuis l’élaboration des thèmes de discussion jusqu’à l’analyse thématique réflexive, leurs retours ont été sollicités pour garantir la pertinence et la représentativité des résultats. Le panel a notamment examiné la formulation des questions, les méthodes employées et les conclusions intermédiaires. Les commentaires recueillis ont été intégrés pour affiner la méthodologie et renforcer la qualité des résultats finaux.

  Cette démarche participative visait à s'assurer que les perspectives des principaux intéressés — les athlètes — soient pleinement prises en compte, renforçant ainsi la validité et l'applicabilité des conclusions de l’étude.

Résultats 

L’analyse thématique réflexive a permis d’identifier quatre grandes thématiques, chacune mettant en lumière un aspect clé de la douleur chez les athlètes et offrant des implications pratiques pour les cliniciens. Ces thématiques sont présentées ci-dessous dans un tableau synthétique, suivi d'une brève analyse narrative qui relie ces résultats. (Tableau 1).

Les résultats, bien que riches et pertinents, doivent être interprétés avec prudence en raison de l’absence de grille d’évaluation méthodologique standardisée et de la portée limitée de l’échantillon.

Les résultats mettent en évidence que la douleur, loin d’être simplement un phénomène physique, s’intègre profondément dans l’identité et la vie quotidienne des athlètes. Cette complexité est accentuée par des facteurs émotionnels, psychologiques et sociaux, qui influencent la perception et la gestion de la douleur. Un aspect transversal clé est l’importance de la communication. Les interactions entre les athlètes et leur entourage — qu’il s’agisse de kinésithérapeutes, d’entraîneurs ou de coéquipiers — jouent un rôle crucial dans l’adoption de stratégies efficaces pour gérer la douleur. Ces échanges doivent être basés sur un langage clair, des objectifs communs et une compréhension mutuelle des besoins. Enfin, l’expérience de la douleur varie en fonction du contexte sportif et de l’historique personnel de chaque athlète. Ainsi, il est essentiel d’adopter une approche individualisée, intégrant à la fois les dimensions physiques, émotionnelles et relationnelles de la douleur. Ces enseignements soulignent l’importance d’une prise en charge globale et collaborative pour améliorer non seulement les performances sportives, mais aussi le bien-être général des athlètes.

Ces thématiques offrent une base précieuse pour enrichir les pratiques cliniques et encourager des recherches futures intégrant des approches complémentaires pour une meilleure gestion de la douleur."

CONCLUSION

  • Cette étude a permis d’extraire quatre grandes thématiques autour de la douleur, soulignant son imbrication profonde dans la vie des athlètes. Elle met en lumière des éléments souvent négligés, mais essentiels à une prise en charge globale et efficace.
  • Les expériences émotionnelles et psychologiques liées à la douleur ont été particulièrement explorées, révélant des aspects traditionnellement sous-évalués. Ces dimensions affectives doivent être intégrées dans l'accompagnement des athlètes, non seulement pour optimiser leurs performances, mais aussi pour préserver leur santé mentale et leur bien-être global.
  • Les différents facteurs influençant la perception de la douleur et la prise de décision ont également été détaillés. L’étude met en avant l’importance de distinguer une douleur normale, inhérente au processus sportif, d’une douleur nécessitant une attention particulière ou une intervention ciblée.
  • Enfin, une communication claire et complète est apparue comme un levier central. Elle facilite non seulement la responsabilisation des athlètes, mais aussi leur compréhension de la complexité de la douleur. En favorisant des échanges transparents entre les athlètes, les professionnels de santé, les entraîneurs et les coéquipiers, cette communication permet d’améliorer les stratégies d’adaptation et, à terme, de mieux gérer la douleur tout en renforçant les performances sportives.
 

Application pratique pour les kinés du sport

Les enseignements de cette étude offrent des perspectives précieuses pour les kinésithérapeutes travaillant avec des athlètes. Tout d'abord, il est crucial de reconnaître la douleur comme un élément central de l'expérience sportive, influençant non seulement la performance, mais aussi l'identité et le bien-être global de l'athlète. Cela implique une approche individualisée, prenant en compte les dimensions émotionnelles et psychologiques souvent sous-évaluées. Les kinés doivent aider les athlètes à distinguer une douleur "normale", liée au processus sportif, d'une douleur nécessitant une intervention spécifique, en les guidant à travers une exploration de leur expérience actuelle et passée. Par ailleurs, une communication claire et collaborative avec l’ensemble des parties prenantes (entraîneurs, coéquipiers, personnel médical) est indispensable. L’utilisation d’un langage simple et adapté, combinée à des objectifs communs, permet de renforcer la cohésion autour de l’athlète et d’améliorer les stratégies d’adaptation. Enfin, intégrer ces éléments dans une prise en charge globale, centrée sur l'athlète et ses besoins, peut non seulement optimiser la gestion de la douleur, mais également contribuer à une meilleure performance et longévité dans le sport.

Douleur chez les athlètes : perspectives, enseignements et pistes pour les kinés du sport

  • Les résultats de cette étude mettent en lumière des thématiques centrales sur la douleur chez les athlètes, proposant une vision riche et multidimensionnelle de ce phénomène. Bien que la méthodologie qualitative présente certaines limites, notamment un échantillon restreint et l'absence de grille standardisée pour évaluer sa qualité, les conclusions apportent des perspectives essentielles pour la compréhension et la gestion de la douleur dans un cadre sportif.
  • Les facteurs contextuels et sociaux émergent également comme des éléments cruciaux. Les kinés pourraient travailler de manière plus étroite avec l'entourage des athlètes — entraîneurs, coéquipiers, familles — pour créer un environnement de soutien autour de l’athlète. Cela facilite une meilleure acceptation de la douleur et renforce les stratégies d'adaptation. En parallèle, une approche biopsychosociale systématique devrait être intégrée, prenant en compte non seulement les aspects physiques de la douleur, mais aussi ses dimensions émotionnelles et cognitives. L’utilisation d’outils validés, tels que des questionnaires sur le stress ou l’impact psychosocial, pourrait guider une prise en charge plus individualisée.
  • Cette étude souligne également l'importance de la formation continue et de la collaboration interdisciplinaire pour optimiser la gestion de la douleur. Les kinés peuvent enrichir leurs pratiques en collaborant avec des médecins du sport, psychologues ou préparateurs physiques, tout en planifiant des objectifs progressifs, réalistes et mesurables pour guider les athlètes dans leur rééducation. Les retours d'expérience des athlètes pourraient également être mieux exploités, non seulement pour ajuster les interventions, mais aussi pour sensibiliser les équipes à la réalité vécue de la douleur sportive.
  • Enfin, cette recherche ouvre des pistes prometteuses pour des études futures, notamment sur le développement d’outils spécifiques pour évaluer les dimensions émotionnelles et psychologiques de la douleur. Elle pose également les bases pour approfondir les modèles de communication interdisciplinaire, indispensables pour une prise en charge globale. En intégrant des mesures préventives, telles que des programmes d'entraînement ou de rééducation anticipant les douleurs chroniques ou récurrentes, ces résultats renforcent l’idée que la douleur dans le sport est un phénomène complexe nécessitant une approche à la fois technique, éducative et collaborative.

L'avis du pôle scientifique Kinesport

Recommandations COREQ

Bien que cette étude qualitative ait été rigoureusement menée en suivant les recommandations COREQ, il est important de noter qu’il n’existe pas de grille de lecture standardisée permettant d’évaluer sa qualité méthodologique de manière universelle. En conséquence, les résultats doivent être interprétés avec précaution.

Standardisation stricte

L’absence de standardisation stricte dans l’évaluation des études qualitatives, notamment lorsqu’une analyse thématique réflexive est utilisée, laisse place à une part de subjectivité dans l’interprétation des données. Malgré les efforts pour limiter les biais, comme la double évaluation indépendante des transcriptions, cette méthodologie reste dépendante des choix et de l’expérience des chercheurs.

Échantillon limité

De plus, l’étude repose sur un échantillon limité d’athlètes et de kinésithérapeutes, ce qui restreint la portée de ses conclusions à d’autres contextes sportifs ou populations. Les spécificités de cet échantillon (sportifs en compétition et kinésithérapeutes expérimentés) offrent des perspectives intéressantes mais ne permettent pas de généraliser les résultats à l’ensemble des athlètes ou professionnels de santé.

Enfin, bien que les thématiques identifiées soient riches et pertinentes, leur application pratique doit être envisagée en complément d’autres données, notamment quantitatives ou issues de contextes similaires. Cela est particulièrement vrai dans le domaine clinique, où une combinaison de méthodologies peut renforcer la fiabilité des conclusions et leur pertinence.

En résumé, cette étude apporte des enseignements précieux sur la douleur chez les athlètes et leur gestion, mais ces résultats doivent être appréhendés avec prudence en raison des limites inhérentes à la méthodologie qualitative et à l’échantillon étudié. Ils constituent néanmoins une base solide pour des recherches futures et pour orienter les pratiques cliniques dans un cadre réflexif. training.

L'étude

Ciarán Purcell, Brona Fullen, Caoimhe Barry Walsh, Garett Van Oirschot, Tomas Ward, Brian Caulfield - ‘Another world of pain’—athlete and sport physiotherapist perspectives on the unique experience of pain in sport: BMJ Open Sport & Exercise Medicine 2024;10:e002020.