Analyse de la raideur du fascia et du muscle chez les footballeurs : impact des antécédents de blessure aux ischio-jambiers

Feb 23 / Arnaud BRUCHARD -⏱️ 6 MIN -
Les blessures aux ischio-jambiers sont une problématique récurrente dans le football, affectant la performance des joueurs et représentant un défi majeur pour les équipes médicales. Une fois blessé, un athlète peut subir des modifications structurelles et mécaniques au sein de son tissu musculaire et fascial, influençant son risque de récidive. Comprendre ces changements est essentiel pour optimiser les stratégies de prévention et de rééducation.

Une étude récente de Kellis de 2025, s'est intéressée à la raideur du fascia et du muscle chez les joueurs de football ayant subi une blessure aux ischio-jambiers. En utilisant une méthode avancée d'élastographie par ondes de cisaillement (Shear-Wave Elastography – SWE), les chercheurs ont comparé la rigidité du biceps fémoral entre des joueurs blessés et non blessés, dans différentes conditions. L’objectif était d’identifier d’éventuelles différences pouvant orienter la prise en charge et prévenir de futures lésions.

#1 Une raideur fasciale augmentée après blessure

Lors d’une contraction isométrique, la raideur du fascia du biceps fémoral est 30 à 40 % plus élevée chez les joueurs ayant déjà subi une blessure aux ischio-jambiers. Cela suggère un impact durable de la lésion sur la structure du tissu conjonctif.

#2 Absence de différence au repos

Contrairement à ce qui était attendu, en condition passive, la raideur du muscle et du fascia reste similaire entre joueurs blessés et non blessés. Ce n’est qu’en contraction que l’adaptation post-lésionnelle devient évidente, ce qui remet en question les approches purement statiques d’évaluation et de rééducation.

#3 Un facteur clé dans la prévention des récidives

L’augmentation de la rigidité fasciale pourrait limiter l’élasticité du muscle et altérer sa fonction dynamique, augmentant le risque de récidive lors des accélérations et changements de direction. Cela souligne l'importance d’un travail ciblé sur la récupération du fascia en complément du renforcement musculaire.

Méthodologie et cadre expérimental

L’étude a été menée auprès de vingt-six footballeurs masculins, répartis en deux groupes : treize ayant souffert d’une blessure aux ischio-jambiers dans l’année précédente, et treize autres n’ayant jamais présenté de lésion à ce niveau. Pour évaluer la raideur du tissu musculaire et fascial, les chercheurs ont utilisé l’élastographie par ondes de cisaillement, une technique permettant de mesurer avec précision la rigidité des tissus en conditions passive et active.

Les tests ont été réalisés dans plusieurs situations : en position allongée, avec le genou en extension complète, et lors d’une contraction isométrique à 50 % de la force maximale volontaire (MVC). L’évaluation s’est concentrée sur deux niveaux anatomiques précis : la région musculaire du biceps fémoral et son fascia associé. L’objectif était de voir si la raideur du muscle et de son enveloppe fasciale variait en fonction des antécédents de blessure.
La figure illustre le protocole expérimental utilisé pour mesurer la raideur du fascia et du muscle chez les footballeurs. Une sonde d’échographie a été placée sur le semi-tendineux (ST) et le biceps fémoral (BF) long chef, précisément à 40 % de la distance entre la tubérosité ischiatique et l'extrémité distale du muscle. Cette localisation permet d’obtenir des mesures standardisées de la rigidité tissulaire. L’imagerie a été réalisée à l’aide de l’élastographie par ondes de cisaillement (Shear-Wave Elastography - SWE), une technique avancée qui superpose des cartographies de raideur (élastogrammes) sur des images échographiques en mode B, à l’aide de codes couleur. Pour analyser spécifiquement la raideur du fascia, les images ont été agrandies et filtrées afin de distinguer le tissu fascial des autres structures environnantes. Afin d’extraire les données quantitatives, des cercles ont été tracés sur les zones d’intérêt (fascia et muscle), et un calcul du module de cisaillement a été effectué. Une échelle de couleurs issue du logiciel a permis d'afficher clairement les mesures, facilitant ainsi l’analyse et la comparaison des résultats entre joueurs blessés et non blessésustre le protocole expérimental utilisé pour mesurer la raideur du fascia et du muscle chez les footballeurs. Une sonde d’échographie a été placée sur le semi-tendineux (ST) et le biceps fémoral (BF) long chef, précisément à 40 % de la distance entre la tubérosité ischiatique et l'extrémité distale du muscle. Cette localisation permet d’obtenir des mesures standardisées de la rigidité tissulaire.

Des résultats révélateurs

Les conclusions de cette étude mettent en lumière un phénomène intéressant. Lorsqu’ils étaient au repos, les joueurs blessés et non blessés ne présentaient aucune différence significative en termes de raideur musculaire ou fasciale. En revanche, lorsqu’une contraction musculaire était engagée, des écarts notables sont apparus.

Chez les joueurs ayant subi une blessure aux ischio-jambiers, la raideur du fascia du biceps fémoral en contraction était significativement plus élevée par rapport au groupe sans antécédent de blessure. Plus précisément, les valeurs de raideur fasciale augmentaient en moyenne de 30 à 40 % sous contraction isométrique dans le groupe blessé, contre une augmentation de seulement 15 à 20 % dans le groupe non blessé. En revanche, la rigidité musculaire proprement dite restait comparable entre les deux groupes.

Ce constat est particulièrement intéressant, car il suggère que les séquelles d’une blessure aux ischio-jambiers ne se traduisent pas uniquement par des modifications du muscle lui-même, mais aussi par des adaptations du fascia environnant. Cette hyper-raideur fasciale en contraction pourrait modifier la transmission des forces, altérer la coordination intermusculaire, et augmenter les contraintes locales sur le tissu musculaire lors des efforts explosifs, notamment en sprint.

En conséquence, cette altération biomécanique pourrait être un facteur contribuant au risque élevé de récidive, observé chez les joueurs ayant déjà subi une blessure aux ischio-jambiers. Ces résultats soulignent l'importance d'inclure le travail sur la souplesse et l'adaptabilité du fascia dans les stratégies de réhabilitation.

La Figure 2 présente la moyenne du module de SWE (Shear Wave Elastography), qui correspond à la valeur moyenne de la rigidité des tissus mesurés dans différentes positions angulaires et sous diverses conditions (passive et active).

Les barres d’erreur indiquent les écarts types, ce qui permet d’apprécier la dispersion des valeurs. Deux symboles sont utilisés pour signaler des différences significatives :

  • (*) indique une différence statistiquement significative entre les groupes étudiés (p < 0,05), ce qui signifie que la rigidité des tissus diffère de manière significative entre les joueurs blessés et non blessés.
  • (^) indique une différence statistiquement significative entre les conditions passives et actives (p < 0,05), ce qui met en évidence des modifications notables de la rigidité des tissus en fonction de l’état de contraction musculaire.

En résumé, cette figure montre que la raideur du fascia et du muscle varie en fonction de l’activation musculaire et qu’il existe des différences importantes entre les joueurs ayant des antécédents de blessure et ceux qui n’en ont pas. Ces résultats soulignent l’intérêt d’évaluer la réponse mécanique des tissus dans des conditions fonctionnelles pour mieux comprendre l’impact des blessures aux ischio-jambiers.

Conséquences pour la prise en charge des joueurs

Une approche innovante pour réduire les récidives ?

Cette étude met en lumière un élément souvent négligé dans la prise en charge des blessures aux ischio-jambiers : les adaptations post-lésionnelles ne se limitent pas au muscle, elles touchent aussi le fascia. Cette nouvelle donnée pourrait transformer la manière dont les professionnels de santé conçoivent la prévention et la rééducation. Plutôt que de se concentrer uniquement sur le renforcement musculaire, il semble essentiel d’adopter une approche plus globale, intégrant des stratégies visant à améliorer la souplesse et l’adaptabilité du fascia.

Ces résultats suggèrent que la raideur fasciale accrue après une blessure pourrait jouer un rôle clé dans le risque de récidive. Une prise en charge optimale devrait ainsi associer renforcement musculaire et techniques favorisant la plasticité du fascia. L’intégration de thérapies myofasciales, d’exercices excentriques longs et d’étirements dynamiques pourrait permettre une meilleure récupération et une réduction significative du taux de rechute.

Vers une prise en charge plus complète

Ces découvertes ont des implications directes pour la rééducation des footballeurs après une blessure aux ischio-jambiers. Jusqu’à présent, les protocoles de réhabilitation se focalisaient principalement sur le renforcement musculaire et la restauration de la force. Cependant, la prise en compte de la souplesse du fascia pourrait être un facteur clé pour optimiser la récupération.

Plusieurs approches pourraient être intégrées aux protocoles actuels :

  • Thérapies manuelles ciblées : Techniques de relâchement myofascial et travail sur les chaînes musculaires pour restaurer l’élasticité fasciale.
  • Exercices excentriques longs : Ces exercices, sollicitant le muscle en allongement sous contrainte, pourraient aider à réduire la raideur fasciale et améliorer l’adaptabilité des tissus conjonctifs.
  • Étirements dynamiques progressifs : Intégrer des étirements actifs plutôt que passifs pour favoriser une meilleure adaptation du fascia aux contraintes fonctionnelles.
  • Suivi et évaluation régulière : Mesurer la raideur fasciale en condition active pour adapter la charge d’entraînement et minimiser le risque de récidive.

Une approche intégrative, combinant renforcement musculaire et travail sur la qualité du fascia, pourrait donc être plus efficace que les stratégies traditionnelles axées uniquement sur la force.

CONCLUSION

Cette étude apporte un éclairage inédit sur l’impact des blessures aux ischio-jambiers en montrant que les adaptations post-lésionnelles ne concernent pas seulement le muscle, mais également le fascia. Cette donnée pourrait changer la manière dont les professionnels de santé envisagent la prise en charge et la prévention des récidives.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur le renforcement musculaire, il pourrait être judicieux d’adopter une approche plus globale, incluant des techniques visant à optimiser la souplesse et l’adaptabilité du fascia. Cette vision intégrative pourrait permettre de mieux préparer les joueurs aux exigences de leur sport et de réduire le taux de récidive des blessures musculaires.

La mise en place de tests spécifiques pour évaluer la raideur fasciale en condition active pourrait être un outil clé pour affiner le suivi des joueurs post-blessure. Associer ces évaluations à un travail ciblé sur la récupération myofasciale et à des exercices fonctionnels adaptés permettrait de proposer une approche plus complète et plus efficace en prévention et en rééducation.

L'article

Kellis, E., Kekelekis, A., & Drakonaki, E. E. (2025). Fascia and muscle stiffness in soccer athletes with and without previous hamstring injury. Journal of Functional Morphology and Kinesiology, 10(48).