L’objectif de cette revue systématique avec méta-analyse est de fournir une synthèse mise à jour des études rapportant la précision diagnostique des tests cliniques pour une rupture partielle ou complète du LCA sans autres lésions ligamentaires associées. Les tests étudiés sont le Lachman, le signe du levier, le tiroir antérieur et le pivot shift. L’hypothèse est que la sensibilité de ces tests sera plus faible en l’absence de lésions associées et que le test de Lachman a une précision diagnostique supérieure au signe du levier.
La recherche a été effectuée sur Pubmed, Scopus, MEDLINE et Web of Science. Les études incluses devaient rapporter des
ruptures (partielles ou totales) isolées du LCA. Les données extraites des études étaient les vrais positifs (VP), faux positifs (FP), vrais négatifs (VN) et faux négatifs (FN). Lorsque ces données n’étaient pas présentes, elles ont été calculées grâce aux statistiques descriptives présentes dans les études. Si le calcul n’était pas possible par manque d’informations, les études étaient exclues. Enfin, une limite de
3 semaines a été déterminée pour différencier les tests en aigu (< 3semaines) et en post-aigu (> 3semaines).
Une méta-analyse bi-variable a été conduite lorsque les études rapportaient la sensibilité et la spécificité des tests et une méta-analyse uni-variable a été menée lorsque les études rapportaient seulement l’une des deux. L’approche bi-variable est considérée comme plus fiable et valide. La sensibilité et la spécificité ont été analysées en fonction du temps depuis la blessure (aigu ou post-aigu), du type de rupture (partielle ou totale) et de l’imagerie de référence utilisée (arthroscopie ou IRM). Des ratios de probabilité positifs (LR+) et négatifs (LR-) ont été calculés pour déterminer la probabilité pré et post-test de rupture du LCA.
Après avoir retiré les doublons et appliqué les critères d’inclusion et d’exclusion, 24 articles ont été sélectionnés. 2 études ont ensuite été retirées car les calculs des vrais/faux positifs/négatifs n’étaient pas possibles ; un total de
22 articles a donc été inclus dans cette revue systématique avec méta-analyse. Les ruptures isolées du LCA ont été étudiées dans 7 études tandis que 10 autres ont étudié les ruptures du LCA associées à une atteinte méniscale. Les atteintes n’étaient pas clairement identifiées ou précisées dans 8 autres études. Le nombre de patients présents dans les cohortes variait de 6 à 217 selon les articles et l’âge moyen était compris entre 21 à 45 ans.
La méta-analyse bi-variable a été appliquée sur 12 études. Le pivot shift test est celui avec la plus haute spécificité (94%) et produisant le plus de changement dans la LR+ post-test. En revanche il est celui avec la plus faible sensibilité (55%) et produisant le moins de changement dans le LR- post-test. Le signe du levier a produit des changements modérés dans la probabilité positive post-test et est le seul à avoir produit des changements modérés dans la probabilité négative post-test. Les tests du tiroir antérieur et de Lachman ont produit des changements modérés dans la LR+ post-test et des changements faibles dans la LR- post-test.
Selon les études se basant sur l’arthroscopie, le test du tiroir antérieur est le plus précis avec le plus de LR+ et le moins de LR-, tout comme le test du levier même si celui-ci présentait un intervalle de confiance trop large.
Selon les études qui utilisaient l’IRM comme outil diagnostic, le signe du levier était le plus précis avec le plus de LR+ et le moins de LR-. Les valeurs de la spécificité et du LR+ des tests du tiroir antérieur et du pivot shift étaient bien inférieurs aux valeurs rapportées dans les études avec arthroscopie. La méta-analyse bi-variable a été possible uniquement pour le test de Lachman en post-aigu sur les ruptures complètes du LCA. Ce test a produit de faibles changements dans les probabilités pré et post-test.
La méta-analyse uni-variable a pu être appliquée sur des données provenant de 23 études. En aigu (< 3semaines), le signe du levier était le plus précis avec une sensibilité de 100% et une spécificité de 94%, tout comme le pivot shift test. En post-aigu, le signe du levier avait toujours la plus haute sensibilité (100%) même si les tests du tiroir antérieur et du pivot shift ont montré des sensibilités bien supérieures à celles qu’ils présentaient en aigu. La spécificité du test de Lachman était aussi supérieure en aigu. La spécificité du signe du levier et du tiroir antérieur n’a pas pu être calculée.
Dans les études rapportant les ruptures complètes isolées du LCA, le pivot shift test était celui présentant la plus haute spécificité (96%) mais la plus faible sensibilité (48%). Le test de Lachman et le signe du levier avaient la plus haute sensibilité, avec le test de Lachman présentant aussi une haute spécificité. Celle du signe du levier n’a pas pu être calculée. Pour les ruptures partielles du LCA, la sensibilité était la même pour les quatre tests. À l’exception du signe du levier, tous les tests ont montré une fiabilité diagnostic plus faible sur les ruptures partielles comparé aux ruptures totales.
Le résultat le plus important de cette revue systématique est la fiabilité diagnostique du test de Lachman qui est plus faible que dans les précédentes études. En se basant sur l’analyse bi-variable,
le pivot shift test et le signe du levier sont respectivement les tests les plus fiables pour diagnostiquer ou exclure une rupture du LCA. Le tiroir antérieur, le Lachman et le signe du levier ont présenté des valeurs diagnostics comparables mais
le Lachman était moins précis en post-aigu et dans les ruptures complètes isolées. Cependant, les résultats doivent être interprétés avec prudence en raison de l’hétérogénéité des études et de la qualité limitée de certaines preuves.
À l’exception de Leblanc et al qui ont exclu les études publiées avant l’an 2000, toutes les revues systématiques précédentes avaient inclus des patients avec des lésions associées à celles du LCA. Or ces lésions, en médial ou latéral, peuvent respectivement diminuer ou augmenter la cotation du pivot shift test. Il en va de même pour les tests du tiroir antérieur et du Lachman qui pourraient devenir encore plus positifs lorsque les freins secondaires à la translation tibiale antérieure sont lésés. La pathomécanique du test du levier n’étant de nos jours pas validée, il n'est pas encore avéré qu’une lésion ligamentaire supplémentaire puisse influencer le résultat de ce test. Les lésions concomitantes pouvant affecter la sensibilité des tests, cette étude, qui se concentre sur les atteintes isolées du LCA, apporte de nouvelles informations sur la précision des tests diagnostiques.
Les précédentes études, qui utilisaient des méta-analyses uni-variable, ont décrit le test de Lachman comme étant le plus valide. En revanche l’analyse bi-variable utilisée dans cette revue, qui fournit une estimation plus précise des tailles d’effets de groupe, indique une précision diagnostique plus faible. Plus précisément, la fiabilité du test de Lachman est plus faible que précédemment rapportée dans les présentations post-aigu et dans les ruptures complètes. Les résultats de cette étude soutiennent que le pivot shift test devrait être utilisé pour statuer sur une rupture du LCA lorsqu’il est positif, mais que le test de Lachman n’est pas plus précis dans ce diagnostic que le test du tiroir antérieur ou le signe du levier. De nouvelles recherches devraient être faites pour tester la précision du test de Lachman en aigu et lors d’atteintes partielles du LCA.
Le signe du levier semble être un test précis quel que soit le temps écoulé depuis l’atteinte du LCA et quel que soit le type de rupture. Cependant, il faut relever qu’une seule étude avec une méthodologie modérée a montré une sensibilité à 68% et que le reste des études sont de qualité limitée. Les données de l’étude originale du signe de Lever (Lelli A, Di Turi RP, Spenciner DB et al (2016) The “Lever Sign”: a new clinical test for the diagnosis of anterior cruciate ligament rupture. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc ) ont été incluses dans les analyses uni-variables mais non dans les méta-analyses bi-variables, or ces dernières démontrent des valeurs diagnostiques inférieures pour le signe du levier, bien qu’elles soient comparables à celles des autres tests. De plus, l’analyse bivariée identifiant le signe du levier comme le plus précis a utilisé l’IRM comme outil diagnostic mais sa précision dépend de l’intensité du champ magnétique et le gold-standard reste l’arthroscopie. Étant donné que le signe du levier est le seul à produire un changement modéré dans la probabilité négative post-test, il faudrait qu’il soit de nouveau étudié sous d’autres modalités (arthroscopie, arthrométrie, …) lorsque l’histoire du patient laisse penser à une atteinte du LCA mais que les tests cliniques sont négatifs. Enfin, ce test devrait être de nouveau étudié avec un focus sur les paramètres mis en place, tels que le placement exact des mains, le type de surface (dure ou molle), la taille du poing de l’examinateur ou encore la taille du mollet du sujet.
Les futures études devraient comparer les tests cliniques du LCA avec et sans lésion méniscale associée pour déterminer leur impact sur la fiabilité diagnostique. En effet, dans cette revue systématique une partie des articles présentait les tests sur des atteintes du LCA associées à des lésions méniscales, or ces dernières augmentent la laxité antérieure et en rotation des genoux avec des atteintes du LCA.