Tendinopathies dégénératives : progrès thérapeutiques et défis à relever

Feb 7 / ARNAUD BRUCHARD - ⏱️ 8 MIN -
Les tendinopathies dégénératives représentent une problématique majeure pour les professionnels de santé et les entraîneurs sportifs, touchant aussi bien les athlètes que les patients sédentaires. Cette pathologie, longtemps perçue comme une simple inflammation chronique, est aujourd’hui reconnue comme un processus dégénératif complexe affectant la structure et la fonction du tendon. Les douleurs persistantes et l’altération de la capacité fonctionnelle en font une condition difficile à traiter, avec des risques de récidives et une récupération souvent incomplète.

L’objectif de cette étude publiée dans l’International Journal of Molecular Sciences est d’explorer les avancées récentes dans la compréhension des mécanismes pathologiques et d’évaluer les nouvelles approches thérapeutiques. Les auteurs insistent sur l’importance d’une prise en charge intégrée, combinant rééducation spécifique, médecine régénérative et interventions ciblées pour améliorer le traitement des tendinopathies dégénératives.

 
LES POINTS CLÉS 

La réparation d’un tendon blessé est un processus complexe, influencé par des facteurs biologiques et mécaniques.
Cette étude met en lumière les mécanismes cellulaires et moléculaires qui régissent la régénération tendineuse,
ainsi que les éléments essentiels à une prise en charge optimisée. Voici trois points clés à retenir :
 La cicatrisation tendineuse suit trois phases distinctes – inflammation, prolifération et remodelage – chacune impliquant des cellules spécifiques et des facteurs de croissance clés pour la réparation du tendon.
 Les cellules souches tendineuses (TDSCs) et mésenchymateuses (MSCs) jouent un rôle crucial dans la régénération tendineuse, influençant la production de collagène et la structuration du tissu réparé.
 L’alignement des fibres de collagène durant la phase de remodelage dépend directement des charges mécaniques appliquées, soulignant l'importance d'une rééducation progressive et contrôlée.

Un processus dégénératif plutôt qu’inflammatoire : comprendre la physiopathologie

Pendant longtemps, la tendinopathie a été associée à un état inflammatoire chronique, conduisant à des traitements axés sur la réduction de l’inflammation, comme les infiltrations de corticoïdes. Cependant, la recherche a démontré que ces approches étaient non seulement inefficaces à long terme, mais qu’elles pouvaient aussi aggraver la dégénérescence tendineuse. Les tendinopathies sont aujourd’hui définies comme un désordre tissulaire complexe résultant d’une altération de la matrice extracellulaire (MEC) et d’un remaniement des cellules tendineuses (ténocytes).

Ces modifications entraînent :
    • Une désorganisation des fibres de collagène, remplacées par du collagène de type III, moins résistant mécaniquement.

    • Une hypervascularisation anormale, impliquant de nouveaux vaisseaux sanguins qui ne participent pas à la régénération tendineuse, mais sont associés à la douleur.

    • Une altération de la signalisation cellulaire, où les ténocytes produisent des médiateurs cataboliques favorisant la dégradation du tendon.

    • Les principaux facteurs contribuant à cette dégénérescence sont biomécaniques (surcharge répétée, mauvaise adaptation des charges d’entraînement) et métaboliques (âge, troubles hormonaux, prise de certains médicaments comme les fluoroquinolones)

Ces découvertes ont conduit à une révision des stratégies thérapeutiques, privilégiant des traitements stimulant la régénération du tendon plutôt que des approches purement anti-inflammatoires.
La phase de remodelage du tendon peut s’étendre jusqu’à 2 ans, avec une transition progressive du collagène III vers le collagène I, garantissant une résistance mécanique optimale.
 
Ce schéma met en évidence les causes et mécanismes dégénératifs de la tendinopathie chronique, montrant comment différents facteurs favorisent sa progression vers des lésions plus sévères. La pathologie résulte d’une combinaison de facteurs intrinsèques, comme la prédisposition génétique, le vieillissement ou les déséquilibres hormonaux, et de facteurs extrinsèques, tels que la surcharge mécanique, les blessures répétées, la sédentarité ou l’usage de certains médicaments fragilisant le tendon. Avec le temps, le tendon subit des altérations structurelles marquées par une désorganisation des fibres de collagène, une hypervascularisation anormale et une modification du phénotype cellulaire, limitant sa capacité de régénération. Cette évolution peut mener à des pathologies plus sévères comme la rupture de la coiffe des rotateurs, du tendon patellaire ou du tendon d’Achille, ainsi qu’à des tendinopathies chroniques du coude. L’importance d’une prise en charge adaptée repose sur une détection précoce et une stratégie combinant gestion de la charge, rééducation spécifique et approches thérapeutiques ciblées afin de limiter la progression de la dégénérescence et d’optimiser la récupération tendineuse.
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Ce schéma illustre les trois phases clés de la cicatrisation tendineuse : inflammation, prolifération et remodelage. La première phase, qui dure environ 48 heures, est marquée par une réponse immunitaire immédiate. Les plaquettes, neutrophiles et macrophages libèrent des cytokines et des facteurs de croissance pour déclencher la réparation. La phase proliférative, qui s’étend de quelques jours à quatre semaines, voit l’activation des fibroblastes et des ténocytes, favorisant la production de collagène de type III, une structure temporaire essentielle à la régénération tissulaire. Les cellules souches mésenchymateuses et les cellules souches tendineuses contribuent également à cette phase en stimulant la prolifération cellulaire et la formation de nouveaux tissus. Enfin, la phase de remodelage, qui peut durer jusqu’à deux ans, transforme progressivement le collagène III en collagène I, plus résistant. L’alignement des fibres et la réorganisation de la matrice extracellulaire permettent au tendon de retrouver ses propriétés biomécaniques optimales. Une prise en charge adaptée, incluant des stimulations mécaniques progressives, est essentielle pour guider cette évolution et prévenir les récidives.
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L’exercice thérapeutique : pierre angulaire du traitement

L’entraînement excentrique est considéré comme le traitement de référence des tendinopathies dégénératives. Ce type d’exercice impose une contrainte mécanique progressive au tendon, favorisant :

Les protocoles les plus couramment utilisés incluent :
  • Une réorganisation des fibres de collagène, stimulant la synthèse de collagène de type I.
  • Une réduction de la néovascularisation anormale, contribuant à la diminution de la douleur.
  • Une augmentation de la tolérance à la charge, essentielle pour la réhabilitation fonctionnelle.
Les protocoles les plus couramment utilisés incluent :
  • Le programme d’Alfredson, basé sur 3x15 répétitions d’exercices excentriques deux fois par jour, largement étudié pour les tendinopathies achilléennes.
  • Le protocole de Silbernagel, qui intègre un travail progressif en charge et une transition vers des exercices plus dynamiques.
Toutefois, les auteurs soulignent que l’exercice seul ne suffit pas toujours, notamment dans les formes avancées de tendinopathie, nécessitant des traitements complémentaires pour accélérer la régénération du tendon.

Médecine régénérative : PRP, cellules souches et nouvelles perspectives

Avec l’évolution des connaissances sur la physiopathologie tendineuse, les thérapies biologiques ont suscité un intérêt croissant pour favoriser la guérison tendineuse. Parmi elles, trois approches principales se distinguent :

 Le Plasma Riche en Plaquettes (PRP)
Le PRP est une solution obtenue à partir du sang du patient, concentrée en facteurs de croissance favorisant la prolifération des ténocytes et la synthèse de collagène. Son efficacité varie selon plusieurs paramètres :

  • Le protocole de préparation (différences de concentration plaquettaire).
  • L’état du tendon (efficacité plus marquée aux stades précoces).
  • Le protocole de rééducation associé (efficacité optimisée lorsqu’il est couplé à l’exercice).

 Les cellules souches mésenchymateuses (CSM)
Les CSM, extraites de la moelle osseuse ou du tissu adipeux, ont un potentiel régénératif grâce à leurs propriétés anti-inflammatoires et de différenciation cellulaire. Elles sont en phase d’expérimentation clinique, avec des résultats encourageants, mais nécessitent des études à plus long terme pour valider leur efficacité.

 Le stromal vascular fraction (SVF)
Issu du tissu adipeux, le SVF contient un mélange de cellules aux propriétés similaires aux CSM, avec un potentiel intéressant pour la réparation tendineuse. Cependant, comme pour les CSM, son utilisation reste limitée aux études cliniques.

Ces traitements, bien que prometteurs, ne sont pas des solutions miracles et doivent être intégrés dans une prise en charge globale, combinant biomécanique et rééducation adaptée.
Les facteurs de croissance tels que le PDGF, le VEGF et le TGF-β jouent un rôle central dans l'angiogenèse et la stimulation de la prolifération cellulaire, influençant directement la qualité de la régénération tendineuse.
 

Thérapies physiques et interventions ciblées

Outre les approches biologiques, d’autres techniques ont montré des bénéfices pour la prise en charge des tendinopathies dégénératives :

Ondes de choc extracorporelles (ESWT)

Utilisées pour stimuler la régénération tendineuse, elles améliorent la vascularisation et réduisent la douleur. Leur efficacité est optimisée lorsqu’elles sont combinées avec un programme d’exercice progressif.

Infiltrations de corticoïdes et alternatives

Les corticoïdes, bien que largement utilisés, ne constituent pas une solution durable en raison de leurs effets délétères sur le tendon. À l’inverse, des infiltrations d’acide hyaluronique ou de PRP peuvent être envisagées pour moduler l’inflammation et favoriser la réparation tissulaire.

Techniques mini-invasives

Les approches telles que la ténotomie percutanée ou la décompression échoguidée sont explorées comme alternatives dans les cas résistants aux traitements conservateurs. Elles nécessitent encore des validations cliniques plus poussées.
 

Applications pratiques : optimiser la prise en charge des tendinopathies dégénératives

L’étude met en évidence la nécessité d’une approche individualisée et multimodale pour optimiser la prise en charge des tendinopathies dégénératives. Voici comment traduire ces avancées en stratégies concrètes pour les kinésithérapeutes, préparateurs physiques, médecins du sport et entraîneurs.

L’organisation des fibres de collagène pendant la phase de remodelage dépend fortement des stimuli mécaniques appliqués, soulignant l’importance d’une rééducation progressive et contrôlée.

 

Structurer un protocole de rééducation efficace

L’exercice est le traitement de première intention, mais sa mise en œuvre doit être progressive et adaptée au stade de la pathologie :


 Phase aiguë (douleur élevée, faible tolérance à la charge) :
  • Exercices isométriques pour réduire la douleur (ex. : maintien en demi-pointe pour l’Achille, extension du genou contre résistance pour le tendon rotulien).
  • Adaptation des charges d’entraînement pour éviter une surcharge mécanique excessive.
 Phase subaiguë (tolérance accrue à la charge, douleur contrôlée) :
  • Introduction des exercices excentriques (Alfredson, Silbernagel), avec augmentation progressive de la charge.
  • Intégration d’exercices de stabilisation et de proprioception pour améliorer la dynamique articulaire.
 Phase avancée (prévention des récidives, retour au sport) :
  • Exercices de pliométrie et de renforcement fonctionnel, spécifiques au sport pratiqué.
  • Optimisation du contrôle de la charge d’entraînement pour éviter la réapparition des douleurs.

Thérapies complémentaires pour maximiser les effets du traitement

L’efficacité des traitements biologiques et physiques dépend de leur intégration dans un protocole global :

  • Le PRP ou les cellules souches peuvent être envisagés pour les tendinopathies réfractaires, mais doivent être couplés à une rééducation spécifique.
  • Les ondes de choc extracorporelles (ESWT) sont particulièrement intéressantes pour stimuler la vascularisation et le remodelage tendineux, surtout lorsqu’elles sont associées à l’exercice.
  • Les infiltrations d’acide hyaluronique ou de PRP sont préférables aux corticoïdes, qui fragilisent la structure du tendon et augmentent le risque de récidive.

Gérer la charge d’entraînement et la récupération

  • Mettre en place un monitoring de la charge (ex. : échelle de Borg, charge aiguë/chronique) pour éviter la surcharge progressive qui mène à la dégénérescence tendineuse.
  • Intégrer des périodes de repos actif et de récupération pour permettre au tendon de s’adapter sans surmenage.
  • Sensibiliser les athlètes à la gestion des facteurs de risque métaboliques (alimentation, sommeil, supplémentation en collagène et vitamine C).

CONCLUSION

Les tendinopathies dégénératives représentent une pathologie multifactorielle et difficile à traiter, nécessitant une approche intégrée et adaptée aux besoins spécifiques de chaque patient. Cette étude met en évidence que l’exercice reste le pilier du traitement, mais que les thérapies biologiques et physiques peuvent jouer un rôle déterminant dans les cas réfractaires.

L’avenir du traitement des tendinopathies repose sur une prise en charge personnalisée, combinant optimisation du renforcement, gestion des charges, innovations thérapeutiques et prévention des récidives. En appliquant ces stratégies, les professionnels du sport et de la rééducation peuvent améliorer significativement la récupération fonctionnelle des athlètes et limiter l’impact des tendinopathies sur la performance à long terme.

L'ARTICLE

Morya, E., Macchi, V., Porzionato, A., De Caro, R., & Stecco, C. (2024). Innovative therapeutic approaches for degenerative tendinopathies: Current evidence and future perspectives. International Journal of Molecular Sciences, 25(4), 11846. https://doi.org/10.3390/ijms250411846